La Wallonie a donc un Gouvernement, avec un programme de travail orienté vers la transition. Le Parlement de Wallonie a débattu ce lundi 17 septembre de la Déclaration politique générale. Voici l’intervention de Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo.
Cette coalition n’est pas une histoire d’amour !
Les Gouvernements sont rarement des histoires d’amour… mais c’est parfois ambigu.
Ici, c’est clair ! Et le temps passé pour conclure ces négociations, autant que les étapes intervenues depuis les élections, l’illustrent à suffisance.
Derrière la mise sur pied de cette coalition, il y a d’abord, chacun s’en souvient, le choix du PTB et du CDH de se mettre directement hors jeu, le choix du PTB et du CDH de neutraliser la voix de leurs électeurs, sans même discuter du contenu, sans même envisager des configurations qui leur donnaient un rapport de forces déterminant, qui les auraient rendus numériquement nécessaires.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé !
Ainsi, le CDH a annoncé – 5 juin 2019 – qu’il entendait rester dans l’opposition.
Nous avons tenté de le relancer par la formule Coquelicot, en l’invitant à soutenir le Gouvernement du dedans ou du dehors, au choix. Le CDH a alors précisé – 17 juin 2019 – que son refus visait tant la participation à un Gouvernement qu’un soutien depuis l’extérieur.
Nous l’avons encore relancé par la note Coquelicot enrichie par la société civile. Le CDH a réitéré son refus le 9 juillet 2019.
Avant que le coq des Fêtes de Wallonie ne chante, le CDH aura donc dit non à 3 reprises.
Il en a été de même du PTB qui a également dit non le 11 juin 2019, puis redit non à la note Coquelicot le 7 juillet 2019, sans même aucune discussion, sans même consulter ses militants. A entendre votre tête de liste en Luxembourg, cette fuite était même déjà décidé avant les élections !
Si nous revenons sur ces éléments, c’est parce qu’ils ne sont pas seulement des faits passés. C’est parce que, ce faisant, cette alliance PTB-CDH a en effet donné les clés de la Wallonie au PS et au MR, qui se sont mécaniquement retrouvés en position incontournable pour la formation d’un Gouvernement.
Dans ce contexte difficile, Ecolo a néanmoins décidé qu’il y avait quelque chose à faire.
Nonobstant ce rapport de forces numérique difficile mais tenant compte des attentes exprimées dans la société, nous avons en effet décidé de faire le maximum, pour tenter de faire avancer la transition écologique, solidaire et démocratique en Wallonie.
Les trois groupes PS, MR et Ecolo ont ainsi négocié longuement, durement, pour réunir un certain nombre de points de rencontre. L’ensemble de la population wallonne a ainsi pu découvrir il y a quelques jours la Déclaration de politique régionale qui en est issue.
Personne ne pense que ce texte est la dernière merveille du monde !
Mais c’est un texte qui ouvre un certain nombre de perspectives que nous estimons globalement porteuses pour l’avenir de la Wallonie.
C’est évidemment le résultat d’une rencontre entre des points de vue parfois très divergents, voire totalement inverses sur une série de sujets.
La Déclaration de politique régionale contient ainsi plusieurs éléments que nous apprécierons évidemment de façon plus ‘réservée’ ! Nous savons que c’est réciproque, et c’est logique.
Mais comme l’a conclu l’Assemblée générale des militants d’Ecolo, cette Déclaration contient aussi, et surtout, un grand nombre d’options positives pour orienter et faire avancer la Wallonie dans la bonne direction, pour opérer un certain nombre de réformes basculantes, pour mettre en œuvre la transition écologique, pour avancer en matière de solidarité et de cohésion sociale, pour créer de l’emploi, pour promouvoir la démocratie et renforcer la gouvernance.
Nous voulons mettre ici l’accent sur plusieurs priorités qui sont importantes à nos yeux.
Le Gouvernement entend mettre le climat au coeur même de sa politique, avec cet enjeu de réduction de 55 % des émissions de GES d’ici 2030 par rapport à 1990.
C’est essentiel. Ce sera difficile. Mais cette ambition est totalement nécessaire mais elle demandera une action de tous les instants.
Le Plan Air Energie Climat que vous reverrez d’ici fin de l’année et le processus participatif qui sera lancé constitueront des étapes majeures. La mise en œuvre du décret Impact climat et la mise sur pied du Haut conseil stratégique seront également des étapes-clés.
Le Gouvernement s’engage, et c’est une très bonne chose, à mettre le paquet sur l’isolation, à travers l’AEE, avec des objectifs chiffrés, avec un travail sur les primes et prêts, sur les investissements publics notamment dans le logement social, sur les normes pour les bâtiments neufs et progressivement sur les locations. Cela permettra aussi de créer de nombreux emplois.
Il en est de même en matière d’énergies renouvelables.
Il faut également souligner les orientations données en matière de mobilité, avec des extensions routières en moins, des infrastructures pour la mobilité douce et collective en plus, 400 millions € prévus pour les financer, un investissement dans les transports en commun et la mise en œuvre progressive de la gratuité.
Le Gouvernement a annoncé des objectifs en matière de logement public que nous espérons voir concrétisés le plus rapidement possible. C’est bien pour aller plus vite que vous mobiliserez simultanément tous les outils et leviers, en ce compris les AIS, les charges d’urbanisme, les formules d’habitat léger, …
En parallèle, parce que ces créations de logement seront insuffisantes pour rencontrer la demande à court terme, nous allons enfin pouvoir concrétiser une allocation-loyer pour les ménages en attente depuis trop longtemps d’un logement social.
Nous insistons sur cette politique du logement car il s’agit d’un levier majeur pour réussir la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités.
Le Gouvernement avancera aussi dans le déploiement du bio et des circuits courts, la création de valeur en aval de la production agricole, le développement des ceintures alimentaires.
Pour le reste, gageons que la nouvelle PAC constituera un levier pour la transition de notre agriculture.
A côté de cela, les orientations en matière de nature sont particulièrement fortes, qu’il s’agisse des haies, des arbres, des réserves naturelles, du réseau écologique. Il faut dire qu’il est ‘moins une’ aussi pour sauver la biodiversité et préserver les services qu’elle nous rend.
Enfin, le travail pour opérationnaliser la lutte contre l’étalement urbain constitue également un enjeu majeur.
Nous espérons que le Gouvernement passera rapidement à l’action sur ce terrain.
Nous soutiendrons également l’ambition affichée en matière de taux d’emploi.
En la matière, vous avez annoncé vouloir apaiser le secteur des APE et des CISP. C’est tout à fait nécessaire.
Vous avez aussi mis en avant la formation, et notamment la formation en alternance. Il faut rappeler l’importance, dans ce cadre, de prendre en compte le projet des individus.
Dans le même sens, nous saluons la volonté de prioriser les moyens du FOREM vers le conseil, l’accompagnement et l’orientation, et pas vers le contrôle ou la sanction.
En matière d’économie, il s’agira aussi d’orienter les subsides vers la transition et de lutter contre les effets d’aubaine, dans les primes à l’investissement ou dans les réductions de cotisation sociale. Il s’agit aussi d’aider prioritairement les PME.
Le Gouvernement présente par ailleurs une orientation particulièrement enthousiasmante en matière d’économie circulaire.
Nous sentons la volonté de construire une stratégie forte et large visant l’ensemble de l’économie et, à côté de cela, des objectifs forts en matière de réduction du volume des déchets.
En matière de santé et d’aide aux personnes, la priorité est enfin donnée à une approche plus centrée sur les besoins et sur des réponses moins institutionnelles.
En matière de santé, la 1ère ligne est mise au centre et les maisons médicales seront développées.
Pour les aînés, la place va enfin être faite aux alternatives aux maisons de repos, pour une offre plus diversifiée, avec les résidences services sociales, les courts séjours, …
Votre Déclaration met par ailleurs l’accent sur l’égalité de genre et les droits des femmes, avec une série d’actions concrètes, dont la Wallonie zéro sexisme sur le marché de l’emploi et la volonté d’une réelle prise en compte dans toutes les politiques.
Nous sommes par ailleurs fiers de contribuer à ce que votre Gouvernement compte la proportion de femmes la plus grande jamais atteinte au Gouvernement wallon. La femme est l’avenir du Wallon, titrait avant-hier, très justement, un éditorialiste.
Nous souhaitons encore aborder le chapitre Démocratie et Gouvernance où le Gouvernement engage également de nombreux chantiers.
– Relance du certificat de l École d administration publique
– Extension du mandat de législature aux OIP
– Systématisation des procédures objectives et impartiales pour les recrutements et promotions, ainsi que pour les top managers des organismes d’intérêt public
– Renforcement de la transparence, à travers la mise en œuvre du décret récemment adopté, un décret pour pérenniser le cadastre des subsides et la transparence sur la composition des cabinets, ainsi que le déploiement de l’open data
– Resserrement de la législation sur les intercommunales, en écho à l affaire ISPPC, pour concrétiser 3 recommandations restées lettre morte de la commission d’enquête
– Recadrage des compétences provinciales à partir de la prise en charge progressive des contributions communales au financement des zones de secours
– Installation et renforcement de la commission de déontologie et éthique
– Reconnaissance du statut de lanceur d’alerte
– Nouvelles règles sur incompatibilités entre mandats publics et privés
– Renforcement de la proportionnalité pour améliorer le pluralisme démocratique
– Facilitation des consultations populaires régionales et locales
– Amélioration du droit de pétition en vue du droit d être entendu
– Organisation de commissions mixtes élus et citoyens tirés au sort
– Suppression des listes spécifiques de suppléants
Et j’en passe…
Il faut aussi insister sur l’engagement de votre Gouvernement à ouvrir un avenir au journal L’Avenir pour le sortir de la gestion calamiteuse dans laquelle il se trouve depuis plusieurs années.
Enfin, dans ce registre, il faut évidemment à évoquer le dossier Enodia – Nethys. Vous avez annoncé votre volonté d’une mise en œuvre complète des recommandations de la commission d’enquête, en utilisant tous les leviers en votre possession endéans les 6 mois.
L’actualité rattrape toutefois le Gouvernement à peine installé, puisque les informations les plus récentes poussent toujours le scandale plus loin et illustrent une nouvelle fois, s’il le fallait, qu’un petit cercle continue à n’en faire qu’à sa tête, en se moquant des représentants des associés publics, en jouant avec les règles de contrôle établies par la Région, et qui plus est en mélangeant tous les intérêts. L’administrateur délégué et toute sa clique doivent partir, comme l’indiquait Jean-Marc Nollet ce vendredi ! Ceci met d’emblée en jeu la détermination de votre Gouvernement. Nous sommes certains que vous serez au rendez-vous pour en finir avec ce cancer de la démocratie wallonne.
Il n’est pas possible de passer en revue l’ensemble des éléments, mais à côté des enjeux qui ont déjà fait la une, je veux aussi mettre en exergue dans la DPR un certain nombre de ‘petites lignes’, pour reprendre une expression assez juste d’une journaliste, ces ‘petites lignes’ qui ne sont évidemment pas là par hasard.
La Déclaration de politique régionale prévoit que le décret sur les compteurs communicants sera réexaminé afin de laisser le libre choix individuel. Cette liberté est essentielle et nous saluons donc cette orientation. Ce sera une économie de près de 200 euros pour les ménages qui n’en veulent pas. Ce sera surtout la possibilité pour ceux qui le souhaitent d’éviter les ondes qui vont avec.
Le Gouvernement entend promouvoir l’utilisation des standards ouverts et les logiciels libres et décline une série de propositions en ce sens. Bravo.
Un cadastre des subsides, placements et investissements publics dans les énergies fossiles sera élaboré ainsi qu’un plan d’action visant à leur élimination d’ici 2025 au plus tard.
Une cellule d’anticipation visant à anticiper et à détecter les besoins futurs de l’économie wallonne et à identifier opportunités et menaces sera développée (…). Cela fait des années qu’UCM et FGTB le demandaient. Cela va pouvoir avancer.
Les missions du Médiateur seront élargies aux réclamations à l’égard des missions de service public remplies par des acteurs associatifs, de même qu’à des analyses à la demande du Parlement.
Les balises contenues par la Déclaration de politique régionale sont également très fortes, notamment à l’égard des clauses environnementales et sociales, du climat et de la préservation de la capacité des Etats à légiférer.
Etc.
Il y a aussi des éléments qui ne sont pas dans l’accord de Gouvernement…
Et même, nous dit-on, qui ont disparu du texte par rapport à la version Coquelicot. Ca, c’est dingue, quand même ! Et quoi, quelqu’un attendait à ce qu’un troisième partenaire vienne signer sans faire valoir ses sensibilités !?
Ainsi, il ne sera pas possible d’avancer sur le décumul à 100 %. Nous le regrettons évidemment.
Mais, M. Mugemangango, il fallait venir, hein ! Il était là sur la table, dans la note Coquelicot, à portée de main. Vous n’avez même pas voulu discuter de cette note. Faites votre examen de conscience.
Il en est de même pour l’assurance autonomie.
Nous indiquerons d’abord au CDH qu’il a eu 5 ans pour faire aboutir ce projet. Il en est même qui ont fait tomber le Gouvernement parce que ce projet n’avançait pas…
Mais ceci étant, M. Desquesnes, cette proposition était également dans la note Coquelicot. Elle ne tenait qu’à vous. Mais vous n’en avez pas voulu. Vous n’avez même pas voulu en discuter.
A un moment donné, il faut se rappeler que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.
Enfin, M. Desquenes a aussi parlé du budget. Il a raison de s’en préoccuper : c’est un enjeu important.
Même si nous aurions aimé que son groupe s’en préoccupe aussi avant les élections, puisqu’on nous avait annoncé l’équilibre et que nous découvrons quelques semaines plus tard un déficit estimé autour de 500 millions € en 2020…
Mais sur cet enjeu budgétaire, je retiens trois éléments majeurs. Ils rencontrent des expressions déjà formulées sur plusieurs bancs mais ils deviennent aujourd’hui une ligne de conduite pour le Gouvernement.
– Le Gouvernement a annoncé sa volonté de déployer largement les investissements publics stratégiques pour l’intérêt de la Wallonie. C’est un engagement important.
– Le Gouvernement entend sortir d’une approche dogmatique de l’équilibre pour, dans ce contexte, viser l’équilibre budgétaire en 2024. C’est un choix judicieux et nous avons particulièrement apprécié les premières prises de position du Ministre du Budget.
Le budget 2020 doit donc être l’occasion de voir sans attendre les premières concrétisations de votre DPR.
– Le Gouvernement a précisé qu’il s’agit aussi d’aider les communes et de soutenir l’investissement par les communes. Très bien à nouveau.
Au moment où nous nous parlons, nous ne pouvons pas faire abstraction de ce qui se passe ailleurs.
Il y a d’abord la montée inquiétante des populismes et des nationalismes dans de nombreux Etats européens. Xavier Bettel, le Premier Ministre luxembourgeois, a bien rappelé les valeurs fondamentales qui sont au coeur de ces évolutions.
Il y a également la situation politique fédérale, qui continue à apparaître totalement inextricable, alors que les enjeux vont continuer à s’accumuler, qu’il s’agisse des priorités socio-économiques, des urgences environnementales, du budget ou encore de crise extérieure comme celle du Brexit. Cette situation fédérale est d’autant plus préoccupante au vu des récents sondages.
Dans ce contexte, l’installation d’un Gouvernement est un événement d’autant plus important. Dans cette période trouble, il est essentiel que la Wallonie ait un Gouvernement à pied d’oeuvre.
Ce contexte met aussi en relief l’importance pour le Gouvernement mais aussi pour le Parlement de répondre à ce qui nourrit les populismes et les replis sur soi. Le Ministre-président en a d’ailleurs exprimé la nécessité avant-hier à l’entame de son discours des fêtes de Wallonie.
Quelques mots pour conclure.
Et d’abord un chiffre : 62,07 % ! C’est le pourcentage des suffrages recueillis par les groupes qui soutiennent ce Gouvernement.
Après deux Gouvernements minoritaires dans la population en 2014 (46%) et plus encore en 2017 (42%), le Gouvernement est aujourd’hui soutenu par une large majorité.
C’est une bonne nouvelle pour la démocratie que de ne pas souffrir dès le départ d’un déficit de légitimité.
Cela ne veut pas dire pour autant que le Gouvernement détient seul la vérité.
Il a d’ailleurs lui-même annoncé la volonté d’intensifier la concertation sociale. Nous vous encourageons en ce sens, en particulier pour les compétences de l’emploi, où nous sommes sûrs que vous aurez à coeur d’aller de l’avant dans une pleine concertation avec les interlocuteurs sociaux et les acteurs de terrain.
Au-delà de la concertation, le Gouvernement a aussi annoncé vouloir densifier l’interaction avec la société civile. Nous vous soutiendrons également en ce sens.
Enfin, c’est une évidence, les défis qui sont devant nous sont colossaux. Il est dès lors impératif de coaliser les énergies.
Travailler ensemble, cela vaut pour l’opposition, du moins si elle le souhaite. Moyennant un peu d’intelligence réciproque et en laissant les manichéismes et les caricatures de côté, nous sommes convaincus qu’il y a un espace pour un travail commun au service de la Wallonie.
Mais à entendre ce qui a été dit, il n’est pas sûr que tout le monde en ait envie…
Travailler ensemble, cela vaut en tout cas pour la majorité. C’est certainement le sens de la coalition de trois groupes politiques aux positions parfois fort différentes.
De notre côté, nous entendons en tout cas nous mobiliser pour assurer le respect de cet accord de Gouvernement et mettre en œuvre la transition.
Il ne reste plus des masses de temps. C’est donc maintenant qu’il faut le faire !